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La nosémose sous un nouveau jour

Avec la détection de plus en plus fréquente de Nosema ceranae dans les ruchers et les surmortalités d’abeilles observées un peu partout dans le monde, de très nombreuses recherches ont eu lieu au cours des dernières années pour tenter d’en savoir un peu plus sur cette maladie. Le présent article vise à faire le point sur ces nouvelles connaissances.

La maladie

La nosémose est une maladie causée par des champignons microscopiques du genre Nosema. Deux espèces affectent l’abeille européenne soit Nosema apis, dont l’impact est bien connu depuis de nombreuses décennies, et Nosema ceranae qu’on commence à peine à mieux connaître. La nosémose est répandue dans le monde entier mais ses impacts sont surtout notables dans les pays au climat tempéré avec des hivers longs et humides. Si N. apis est régulièrement associé à la présence de diarrhée, ce ne semble pas être le cas avec N. ceranae. En fait, dans la plupart des cas, l’infection par Nosema passe inaperçue aux yeux des apiculteurs. Et quand des signes cliniques sont présents (un faible développement printanier, une faible production de miel voire un effondrement de la colonie), ils sont peu spécifiques ce qui donne l’impression que cet agent a peu d’impact sur les colonies. Mais le portrait peut changer grandement quand différents stress entrent en jeu et brisent l’équilibre établi entre l’abeille, son environnement et ses pathogènes. Dès lors, la prolifération de Nosema dans les cellules intestinales des abeilles peut provoquer des signes cliniques. Les principaux facteurs de stress qui peuvent favoriser l’apparition de signes cliniques ou agir de façon synergique avec la nosémose pour affaiblir la colonie sont :

Plusieurs auteurs suggèrent que N. ceranae a un effet négatif sur la réponse immunitaire des abeilles (Antunez 2009, Chaimanee 2012, Dussaubat 2012). De plus, la nosémose, en affectant le comportement des ouvrières et donc leurs déplacements dans la ruche, pourrait diminuer l’efficacité des traitements contre le varroa avec des pesticides de synthèse (Botias, 2012).

Par ailleurs, certaines études récentes rapportent que l’infection par Nosema ceranae ne semblait pas modifier l’effet d’une infection par le virus des ailes déformées (Costa 2011, Martin 2013) ou d’une infestation par le varroa (Rinderer 2013).

Traiter ou Ne pas traiter … Telle est la question !

Face aux agents pathogènes, la meilleure approche est toujours la prévention et la mise en œuvre de bonnes pratiques. Plus spécifiquement, l’apiculteur doit surveiller les points suivants pour prévenir la nosémose :

Lorsque bien appliquées, les mesures préventives précédentes suffisent généralement à garder la population de Nosema à un niveau acceptable qui ne déclenche pas de problème clinique de nosémose. Dans certains cas, il peut toutefois être pertinent d’envisager un traitement.

Quel traitement? Et comment l’utiliser ?

Le seul médicament homologué pour le contrôle de la nosémose chez les abeilles est la fumagilline. Cet antibiotique a depuis longtemps démontré son efficacité pour contrôler les infections par N. apis (Katznelson, 1952). Bien que son efficacité à court terme contre N. ceranae ait aussi été établie (Williams, 2008), plusieurs observations sur le terrain tendent à montrer que, six mois après le traitement, les colonies infectées par N. ceranae et traitées avec la fumagilline retrouvent des niveaux d’infection similaires à ceux présents avant le traitement. Selon Huang et al, l’augmentation relative de la prévalence de N. ceranae et son impact grandissant dans les ruchers pourraient être expliqués par une efficacité moindre de la fumagilline face à N. ceranae et par l’usage extensif de cet antibiotique dans les ruchers nordaméricains (Huang 2013). Pourrait-on parler de résistance partielle ?

Ces observations récentes nous incitent à la prudence. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut cesser tout usage de fumagilline, mais plutôt qu’il faut être prudent avant de l’utiliser et s’assurer de le faire à bon escient. Rappelons que la fumagilline, comme tout antibiotique, est un médicament sous ordonnance vétérinaire au Québec. Cela signifie qu’il faut, pour l’acheter et pour l’utiliser, détenir une ordonnance émise récemment par un vétérinaire. Il faut aussi respecter les dosages et les modalités de distribution prévus à l’ordonnance de façon à éviter le développement de résistance et la présence de résidus dans le miel.

Rappel : Il n'y a pas de traitement médical que l'on a le droit de prescrire en France. La Fumagiline a une action contre les microsporidies, mais n'a pas d'AMM en France.

Traitements alternatifs

D’autres approches, comme des traitements au vinaigre de cidre ou l’utilisation de produits naturels ou alternatifs, sont régulièrement proposées et certains apiculteurs rapportent en être très satisfaits. Toutefois, pour déterminer l’efficacité réelle de ces stratégies dans le contrôle de la nosémose, il faut que les produits en question soient évalués dans un contexte neutre et contrôlé.

Une équipe suédoise a ainsi évalué, en laboratoire et sur le terrain lors du nourrissage automnal, l’efficacité de l’acide acétique (matière active du vinaigre) pour contrôler la nosémose. Aucun effet n’a été observé sur le nombre de spores de Nosema ou sur la prévalence de l’infestation. Que ce soit en laboratoire ou sur le terrain, l’acidification de la nourriture des abeilles mellifères n’a eu aucun effet sur la prévalence ou sur le développement de la nosémose (Forsgren et Fries, 2005). Est-ce que les autres ingrédients du vinaigre de cidre (minéraux, enzymes et autres composés organiques) peuvent expliquer les bons résultats rapportés par certains apiculteurs? La question demeure ouverte.

Par ailleurs, des chercheurs espagnols ont étudié l’efficacité de trois produits alternatifs disponibles en Europe pour contrôler les infections par N. ceranae: Nosestat® , Vitafeed Gold® et le salicylate de phényle. Aucun des trois produits n’a été efficace pour réduire les niveaux d’infection. Les auteurs indiquent toutefois que cette absence d’efficacité pourrait être liée à une consommation très faible de chacun des trois produits, donc à un problème d’appétence. (Botias, 2013)

Une équipe italienne a évalué le potentiel de certains produits naturels pour contrôler la nosémose. Les produits évalués étaient les suivants : le thymol (administré sous forme de candi), l’huile essentielle de Vetiver, les lysosymes et le resveratrol. Seuls le thymol et le resveratrol ont permis de réduire notablement les niveaux de spores dans les abeilles. Les chercheurs indiquent que d’autres recherches sont toutefois nécessaires avant de déterminer si ces produits peuvent être d’intérêt dans le traitement de la nosémose. (Maistrello, 2008)

Enfin, l’efficacité du Nozévit®, une préparation à base d’herbes vendue et utilisée au Québec pour contrôler la nosémose, a été évaluée. En induisant la sécrétion de mucus par les cellules épithéliales de l’intestin des abeilles, le Nozevit® pourrait protéger ces dernières d’une nouvelle infestation par Nosema sp. (Tlak Gajger, 2011). Des études supplémentaires sont en cours et il faudra attendre l’analyse des résultats pour déterminer si ce produit peut avantageusement être recommandé pour le contrôle de la nosémose et, si c’est le cas, à quelle dose.

Conclusion

La détection récente de Nosema ceranae et les contraintes liées à son traitement rappellent que la nosémose peut occasionner des pertes importantes lorsque les conditions d’élevage et de production ne sont pas optimales. Dans ce contexte, la prévention demeure la clé et les bonnes pratiques apicoles et les mesures de biosécurité en sont les cartes maîtresses.

N.B. Vous pouvez communiquer avec l’auteure si vous souhaitez avoir la liste des articles cités en référence. Pour une description détaillée des principales caractéristiques de la nosémose, vous pouvez aussi consulter l’article écrit il y a quelques années par Dr. Claude Boucher

Source : nosemose-l_abeille_de_l_hiver_2015.pdf Article paru dans la revue L’Abeille de l’hiver 2015